Certaines n'avaient jamais vu la mer de Julie OTSUKA
Certaines n'avaient jamais vu la mer
Nous sommes en 1919. Un bateau quitte l'Empire du Levant avec à son bord plusieurs dizaines de jeunes femmes promises à des Japonais travaillant aux États-Unis, toutes mariées par procuration.
C'est après une éprouvante traversée de l'Océan pacifique qu'elles rencontrent pour la première fois à San Francisco leurs futurs maris.
Celui pour lequel elles ont tout abandonné. Celui auquel elles ont tant rêvé. Celui qui va tant les décevoir.
À la façon d'un choeur antique, leurs voix se lèvent et racontent leurs misérables vies d'exilées... leurs nuits de noces, souvent brutales, leurs rudes journées de travail dans les champs, leurs combats pour apprivoiser une langue inconnue, la naissance de leurs enfants, l'humiliation des Blancs... Une véritable clameur jusqu'au silence de la guerre et la détention dans les camps d'internement - l'État considère tout Japonais vivant en Amérique comme traître.
Bientôt, l'oubli emporte tout, comme si elles, leurs époux et leurs progénitures n'avaient jamais existé.
Prix fémina Etranger 2012
Editions Phebus - 15 euros -
139 pages
Mon avis
L'exode et le déracinement de ces immigrantes Japonaises quelques années avant la seconde guerre mondiale vers un pays inconnu, des coutumes qui effraient, des maris qui les traitent si durement, un quotidien de labeur et un devenir incertain (pauvreté, emploi précaire...) est un cri de désespoir écrit sous la forme d'un roman duquel jaillit une multitude de voix qui, sous forme de chapitres, nous font découvrir la vie de ces exilées.
La grande force de ce récit réside dans le fait que l'on ne s'attache pas à une femme en particulier mais à une multitude.
L'utilisation du "nous" donne une force intense à l'écriture, aux descriptions, aux abus, aux pires sévices qu'ont subit ces femmes. Leurs enfants, contrairement à elles, seront eux tout à fait capables de s'adapter à cette vie.
Le roman est court, le sujet touchant, le style remarquable mais perd en ferveur car l'on peine à s'attacher à l'une des exilées. Aucune histoire personnelle n'est en effet relatée.
Quoi qu'il en soit, il reste un très bel hommage sur un sujet longtemps occulté à des femmes qui ont su s'adapter mais qui n'ont jamais été acceptées tant par la population que par ce pays qui les a accueillies.
L'auteure
Julie Otsuka est née en Californie d'une mère américaine d'origine Japonaise et d'un père Japonais.
Elle fait ses études supérieures à l'université de Yale où elle a été diplômée en art (peinture et sculpture) en 1984.
Avec la parution de "Quand l'empereur était un dieu", paru en 2002, Julie Otsuka fait une entrée remarquée dans le monde de la littérature.
Elle vit aujourd'hui à New-York.
Chroniqué par Sandrine Famechon